? Santiago (Balada ingenua) – par Federico Garcia Lorca (1898-1936)

6 mai 2021 – Federico García Lorca est un poète et dramaturge andalou né le 5 juin 1898 en à Fuente Vaqueros et mort le 19 août 1936 à Viznar, près de Grenade, pendant la guerre civile espagnole.

Reconnu comme l’un des écrivains espagnols les plus célèbres après Cervantès, il a su allier l’héritage du folklore, la tradition populaire au romantisme, au symbolisme et aux mouvements d’avant-garde des années 1920, laissant une œuvre originale et inclassable.

Exceptionnellement précoce et éclectique, il nous livre une émouvante reconnaissance à l’univers apostolique de saint Jacques.

Federico Garcia Loca

Jeunesse dorée, destin tragique 

Federico Garcia Lorca naît le 5 juin 1898 dans la province de Grenade. Son père Frederico Garcìa Rodriguez était propriétaire terrien, aisé et libéral. Sa mère s’appelait Vicenta Lorca Romero et était professeur des écoles. C’est elle qui donne le goût des arts au petit Federico. Il fait ses études à Grenade.

En 1919 il intègre une résidence d’étudiants de Madrid où il rencontre, entre autres, le célèbre peintre Salvador Dali.

Federico ne peut pas supporter la dictature qui s’installe en Espagne; raison pour laquelle il part en 1929 faire un voyage d’un an à New York dans l’espoir d’alimenter une nouvelle inspiration poétique.

Du côté des Républicains pendant la guerre civile espagnole, il est abattu par une milice franquiste en 1936. Sa dépouille activement recherchée n’a jamais été retrouvée.

Initiateur de l’Art Moderne en Espagne

Il s’intéresse très tôt aux différents domaines des arts et emprunte la voie de la poésie dès 1921. Mariant modernité et folklore populaire, Garcia Lorca emporte rapidement la reconnaissance du public.

Il a créé de grandes œuvres dans le domaine littéraire mais aussi musical en adaptant par exemple des petits chants populaires issus du Moyen-Âge.

Federico García Lorca a été influencé par de grandes personnalités comme le peintre Salvador Dalí mais aussi le réalisateur Luis Buñuel, le compositeur Manuel de Falla ou les poètes Rafael Alberti et Juan Jamon Jiménez.

Ses nombreux voyages, notamment en Amérique, ont approfondi ses œuvres; dès 1935, Garcia Lorca s’oriente vers l’art dramatique. Il fonde une compagnie de théatre et met en scène de grands classiques. Il peut à son tour représenter ses pièces les plus célèbres Noces de Sang (1933), Yerma (1935) et la Maison de Bernada (1936). Cette trilogie reste une contribution majeure au patrimoine dramatique espagnol.

Aucun des hommes vrais ne croit plus en cette bêtise de l’Art pur.

En ce moment dramatique du monde, l’artiste doit pleurer et rire avec le peuple. J’ai une vraie envie de communiquer avec les autres.

C’est pour cela que j’ai frappé aux portes du théâtre et le théâtre a consacré toute ma sensibilité.”

Œuvres de jeunesse

Le jeune Federico n’a que 20 ans quand il écrit et dessine une émouvante ode à saint Jacques, le 25 juillet 1918, dans ville natale. Ce dessin, simple mais chargé de symbolique jacquaire illustre un long poème: “Santiago, balada ingenua”.

Interprétation

A l’extérieur de la composition, on croit voir un arceau de fleurs bleues planté dans deux vases symétriques, comme dans ces reposoirs qui parent au mois de mai les rues andalouses. Lys, roses et jasmins parsèment la marche terrestre du saint, comme dans le deuxième volet du poème.

Mais à y regarder de plus près, ces pots de fleurs, surtout celui de droite, ressemblent aussi à des heaumes chevaleresques, avec leur gorgerin, leur visière et leur panache, comme ceux qui ornent la façade de tant de nobles demeures espagnoles.

Cette double signification des objets est constante dans la poésie et la peinture, comme Lorca aime à le rappeler.

La guirlande représente l’orbe de la Voie Lactée milicienne, aux astres tournoyants sur le bleu céleste. Le Saint “Cortège” des Chevaliers du Ciel jaillit d’un heaume pour s’abîmer, la nuit finie, dans un autre.

Les heaumes, posés au sol, libèrent de toute violence l’autre saint Jacques, le “pèlerin du ciel sur la terre”.

 

  Portant les attributs de son propre culte (chapeau, bourdon, gourde), saint Jacques arbore trois coquilles couleur écarlate, stylisées à la façon d’un idéogramme chinois, sur le cœur et les jambes, ces jambes si nécessaires aux marcheurs de la Charité.

Il n’exhibe pas la croix sanglante de l’Ordre, le fameux lagarto auquel ont aspiré tant d’Espagnols.

 

Ce saint Jacques pacifique occupe le centre de la composition. Sa jeunesse et son maintien modeste donnent à son intervention terrestre bienfaisante une dimension de piété filiale. Il est et il montre le droit chemin, comme le signifie la naïve orientation dextrogyre de ses pieds.

I

Esta noche ha pasado Santiago
su camino de luz en el cielo.
Lo comentan los niños jugando
con el agua de un cauce sereno.

¿Dónde va el peregrino celeste
por el claro infi nito sendero?
Va a la aurora que brilla en el fondo
en caballo blanco como el hielo.


¡Niños chicos, cantad en el prado
horadando con risas al viento!


Dice un hombre que ha visto a Santiago
en tropel con doscientos guerreros;
iban todos cubiertos de luces,
con guirnaldas de verdes luceros,
y el caballo que monta Santiago
era un astro de brillos intensos.


Dice el hombre que cuenta la historia
que en la noche dormida se oyeron
tremolar plateado de alas
que en sus ondas llevóse el silencio.


¿Qué sería que el río paróse?
Eran ángeles los caballeros.


¡Niños chicos, cantad en el prado.
horadando con risas al viento!
Es la noche de luna menguante.


¡Escuchad! ¿Qué se siente en el cielo,
que los grillos refuerzan sus cuerdas
y dan voces los perros vegueros?


-Madre abuela, ¿cuál es el camino,
madre abuela, que yo no lo veo?


-Mira bien y verás una cinta
de polvillo harinoso y espeso,
un borrón que parece de plata
o de nácar. ¿Lo ves?
-Ya lo veo.

-Madre abuela. ¿Dónde está Santiago?
Por allí marcha con su cortejo,
la cabeza llena de plumajes
y de perlas muy finas el cuerpo,
con la luna rendida a sus plantas,
con el sol escondido en el pecho.


Esta noche en la vega se escuchan
los relatos brumosos del cuento.


¡Niños chicos, cantad en el prado,
horadando con risas al viento!


II


Una vieja que vive muy pobre
en la parte más alta del pueblo,
que posee una rueca inservible,
una virgen y dos gatos negros,
mientras hace la ruda calceta
con sus secos y temblones dedos,
rodeada de buenas comadres
y de sucios chiquillos traviesos,
en la paz de la noche tranquila,
con las sierras perdidas en negro,
va contando con ritmos tardíos
la visión que ella tuvo en sus tiempos.


Ella vio en una noche lejana
como ésta, sin ruidos ni vientos,
el apóstol Santiago en persona,
peregrino en la tierra del cielo.


-Y comadre, ¿cómo iba vestido?
-le preguntan dos voces a un tiempo.
-Con bordón de esmeraldas y perlas
y una túnica de terciopelo.


Cuando hubo pasado la puerta,
mis palomas sus alas tendieron,
y mi perro, que estaba dormido,
fue tras él sus pisadas lamiendo.

Era dulce el Apóstol divino,
más aún que la luna de enero.
A su paso dejó por la senda
un olor de azucena y de incienso.


-Y comadre, ¿no le dijo nada?
-la preguntan dos voces a un tiempo.

-Al pasar me miró sonriente
y una estrella dejóme aquí dentro.
-¿Dónde tienes guardada esa estrella?
-la pregunta un chiquillo travieso.

-¿Se ha apagado – dijéronle otros –
como cosa de un encantamiento?
-Madre abuela. ¿Dónde está Santiago?
-Por allí marcha con su cortejo,
-No, hijos míos, la estrella relumbra,
que en el alma clavada 1a llevo.


-¿Cómo son las estrellas aquí?
-Hijo mío, igual que en el cielo.


-Siga, siga la vieja comadre.
¿Dónde iba el glorioso viajero?


-Se perdió por aquellas montañas
con mis blancas palomas y el perro.
Pero llena dejome la casa
de rosales y de jazmineros,
y las uvas verdes en la parra
maduraron, y mi troje lleno
encontré la siguiente mañana.
Todo obra del Apóstol bueno.


-¡Grande suerte que tuvo, comadre!
-sermonean dos voces a un tiempo.
Los chiquillos están ya dormidos
y los campos en hondo silencio.


¡Niños chicos, pensad en Santiago
por los turbios caminos del sueño!


¡Noche clara, fi nales de julio!
¡Ha pasado Santiago en el cielo!


La tristeza que tiene mi alma,
por el blanco camino la dejo,
para ver si la encuentran los niños
y en el agua la vayan hundiendo,
para ver si en la noche estrellada
a muy lejos la llevan los vientos.

.

FEDERICO GARCIA LORCA

I

Saint Jacques est passé cette nuit,
dans le ciel, sur un trait de lumière,
racontent les enfants en jouant,
avec l’eau d’un ruisseau serein.

Où s’en va le pèlerin céleste
par la claire avenue infinie ?
Il va sur un cheval blanc comme neige
tout là-bas vers l’aurore qui luit.


Tout-petits, chantez dans la prairie
et trouez les vents de vos rires !


“Moi, dit quelqu’un, j’ai vu Saint Jacques
au milieu de deux cents hommes d’armes.
Ils allaient tout couverts de lumières,
enguirlandés de vertes étoiles,
le cheval que montait Saint Jacques
était un astre éblouissant.”


Le témoin ajoute à son récit
qu’on entendit dans la nuit profonde
comme un froissement d’ailes d’argent
qu’emporta le silence en ses ondes.


Qui obligea le fleuve à s’arrêter ?
Les anges qui étaient ses chevaliers.

 

Tout-petits, chantez dans la prairie
et trouez les vents de vos rires !
C’est une nuit de lune au déclin.

Ecoutez ! Qu’y a-t-il dans le ciel
qui renforce l’archet des grillons
et inquiète les chiens de la plaine ?


“Mère-grand, montrez moi le chemin.
Mère-grand, je ne peux pas le voir.


-Fixe bien, tu verras un ruban
de poussière aussi blanc que farine,
une tâche qui semble d’argent
ou de nacre. Vois-tu ?
-Je vois… oui.”


“Mère-grand, montrez-moi Saint Jacques.
-Là-bas, il marche avec son cortège.
Sur sa tête, un superbe panache,
tout son corps couvert de fines perles,
le soleil caché dans son coeur
et la lune soumise à ses pieds.”


Cette nuit, on entend dans la plaine
les récits nébuleux de la fable.


Tout-petits, chantez dans la prairie
et trouez les vents de vos rires !


II


Une vieille qui vit pauvrement
à l’endroit le plus haut du village,
possédant pour tout bien une Vierge,
deux chats noirs, un rouet hors d’usage,
tandis que de ses doigts tremblants
et secs elle fait un bas grossier,
au milieu de ses bonnes commères
et d’espiègles gamins barbouillés,
dans la paix de la nuit endormie
où les monts se perdent dans le noir,
raconte sur des rythmes lents
une vision qu’elle eut autrefois.

Dans le calme d’une nuit lointaine
sans bruits ni vents, elle vit paraître
l’apôtre Saint Jacques en personne,
Pèlerin du ciel sur la terre.


“Quel habit portait-il, bonne vieille ?
Lui demandent deux voix à la fois.

-Une riche tunique en velours,
un bourdon d’émeraudes et de perles.

“Mes ramiers étendirent leurs ailes
lorsqu’il franchit le seuil de la porte,
et mon chien qui était endormi
le suivit en léchant ses talons.

Il était doux, l’apôtre divin,
plus doux que la lune de janvier.
Un parfum fait de lys et d’encens
sur ses pas embaumait le sentier.


-Et il ne vous dit rien, bonne vieille ?
Lui demandent deux voix à la fois.


-En passant il me fit un sourire
qui laissa une étoile en mon sein.
-Et où conserves-tu cette étoile ?
Lui demande un espiègle bambin.

-S’est-elle éteinte, disent les autres,
comme visions de sortilèges ?
-Non, mes fils, l’étoile que j’ai là,
dans mon coeur jette ses étincelles.

 


-Dis, et comment sont ces étoiles ?
– Mon enfant, comme celles du ciel.


-Parle encore, parle encore, bonne vieille.
Où allait le glorieux Pèlerin ?


-Il se perdit là-bas dans les monts,
avec mes clairs ramiers et mon chien.
Mais il me laissa la maison pleine
de rosiers et de fleurs de jasmin.
Et les grapes vertes de la treille,
je les vis, le lendemain matin,
soudain mûres et mon grenier plein.
Tout cela par la grâce du Saint.


-Quelle chance pour vous, bonne vieille !”
Font deux voix à la fois qui commentent.
Les enfants sont plongés dans le sommeil
et les champs dans un profond silence…


Tout-petits, pensez à Saint Jacques
à travers le dédale des rêves !


Ô nuit claire des fins de juillet !
Saint Jacques est passé dans le ciel !

 

La tristesse qui flotte en mon âme,
je la laisse sur le blanc chemin.
Les enfants la trouveront peut-être
et l’enfuiront dans l’eau demain,
à moins que dans la nuit constellée
les vents ne l’emportent au lointain.

FEDERICO GARCIA LORCA

(traduction La Pléiade)

Pour nos adhérents hispanophones, une vidéo pour suivre ce poème dans le texte original, avec la voix expressive de Victor Villarraza.

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