? Talmont-sur-Gironde (17) – la fin d’un mythe

11 octobre 2021 – La visite de la Charente-Maritime s’impose en arrière-saison, pour la douceur du climat, la tranquillité retrouvée du littoral et ses paysages spectaculaires, de l’estuaire de la Gironde à l’Île d’Oléron toute proche de Royan.

La découverte des villages bordant l’estuaire est un délice pour les rêveurs de grands espaces soumis aux quatre vents, et pour les amateurs de vieilles pierres blanches. Voici l’occasion de revoir Talmont-sur-Gironde, lieu d’une plaisante tentative de récupération des pèlerins de Compostelle qui passaient par là dans les siècles passés, soi-disant…

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Photo T. Lebrun

Un site touristique exceptionnel

A 15 km au sud de Royan, sur un promontoire rocheux surplombant l’estuaire, Talmont-sur-Gironde a gardé son plan originel de bastide, édifiée en 1284 par Edouard Ier d’Aquitaine.

Dominant le village, la magnifique église Sainte-Radegonde, joyau de l’art religieux saintongeais, est encore fortifiée de remparts. Dans le bourg, maisons aux façades blanches et volets bleus se dévoilent derrière les roses trémières. Talmont-sur-Gironde devrait également une part de sa notoriété à la dévotion des pèlerins de Compostelle… Vraiment ?

En fait, rien n’est moins sûr.

Place forte avant tout

Ci-contre, la carte des chemins de la région montre bien que Talmont se trouve à l’écart des chemins de Soulac et de Blaye.

Talmont était d’abord un poste militaire, acquis en 1284 par Edouard 1er d’Angleterre, duc d’Aquitaine qui le fit fortifier, créant ainsi une bastide à plan à damier, analogue à celles qui furent créées durant la guerre de Cent Ans dans le sud-ouest de la France.
Finalement, Talmont âprement disputé entre Français et Anglais retourne à la couronne de France à la fin du XIVe siècle.

Après les armes, Talmont est souvent présenté un lieu de pèlerinage sur la route de Compostelle. Après avoir fait leurs dévotions à la sainte patronne de l’église, sainte Radegonde, les pèlerins traverseraient l’estuaire de la Gironde pour rejoindre la basilique de Soulac, ou bien continueraient leur périple en passant par Blaye et Bordeaux.

Chemins de Compostelle balisés en Charente-Maritime
Photo T. Lebrun
Beaucoup de questions
“Pourquoi, puisque le pèlerinage a consisté à prier des reliques, aurait-on fait le détour par Talmont où il n’y avait rien à toucher, alors qu’à une heure de marche, se trouve le très prestigieux tombeau de Roland [à Blaye]” ?

Du coup, on vous explique qu’en face [à Soulac], les pèlerins allaient prier à la basilique Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, alias sainte Véronique… !

Ce qui étonne, c’est que des pèlerins soient venus traverser la Gironde en plein milieu de l’estuaire et aient remonté au nord vers Soulac, alors que c’est au sud qu’ils allaient ?

“Pourquoi, s’ils allaient en Galice par la voie des mers, n’ont-ils pas opté pour un lieu de partance plus pratique ? »

Un mythe né en 1938

En 1934, Jeanne Digard* ouvrait la voie en situant Talmont sur la grande route de Blaye, sans donner aucune référence :

« L’importance de Talmont au Moyen-Age était due surtout à sa situation sur la grande route pour se rendre à Blaye. Bien qu’il existât une route par Pons, celle du littoral était d’autant plus connue qu’elle suivait l’ancienne voie romaine… ».

En 1938, après la traduction française du Guide du Pèlerin, le chanoine Tonnelier, bien connu pour ses approximations historiques, amplifiait :

« Le bourg se peupla vite, les bénédictins firent sa fortune, étant grands organisateurs du mouvement qui entraînait les foules vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils s’ingéniaient à créer des centres d’accueil, Talmont en était un. Là, les pèlerins retrouvaient ceux venus par la route de La Rochelle et de Saujon »…

Pour lui, la messe est dite, Talmont devient :

«plaque tournante et point de bifurcation important des routes terrestres et maritimes vers Compostelle »


* Jeanne Digard, L’église Sainte-Radegonde de Talmont-sur-Gironde, PUF, 1934.

L’officialisation du mythe

Mais la vraie consécration compostellane remonte à 1985, quand l’association parisienne La  Société des Amis de Saint Jacques est venue apposer une plaque Chemin de Saint Jacques sur le mur du cimetière*, officialisant ainsi le rôle supposé de Talmont. Depuis […] le mythe prospère […]
« Evidemment si, dans nos coins, le pèlerinage de Compostelle date d’à peine 50 ans, on comprend mieux pourquoi il n’a pas encore imprégné les esprits ! » – Jacques Tribondeau

Et la rédaction [de la revue Xaintonge] conclut : 

«En Charente, les tracés n’ont aucune valeur historique. Il suivent des voies attirantes par la beauté de leurs sites ou de leurs monuments. Ils font découvrir des communes oubliées du tourisme, parfois au grand étonnement de leurs habitants. 
Au fond le pèlerinage à Compostelle est une notion évolutive. Saint Jacques était très bon saint qui a su et saura s’adapter à toute configuration le concernant ».

* L’église étant monument historique, il était interdit d’y apposer une plaque. Il n’y en a pas !

Reste un village fier de son église au bord des flots

Photo et suivantes T. Lebrun

Pour en savoir plus

Contenu très largement inspiré par un article paru dans la Newsletter de la Fondation David Parou, rédigé avec talent et précision par Madame Denise Péricard-Méa, docteur en Histoire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des cultes à saint Jacques.

Nous la remercions vivement pour son érudition.

Pour lire l’intégralité de l’article Talmont-sur-Gironde sur le chemin de Compostelle ? étape n°108“, rédigé par Denise Péricard-Méa, cliquer sur le lien suivant: Talmont-sur-Gironde sur le chemin de Compostelle ? étape n°108 (saint-jacques-compostelle.info)

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